Portraits d'Epaves

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Portrait d'Epaves

 

Les informations présentes sur ce CDROM sont extraites d'un numéro spécial de SUB-Océans "Portrait d'Epaves", écrit par J.P. JONCHERAY et U. BRUNNER (1987).

Ont également participé à la réalisation de ce livre :

Jean-Pierre Bargiarelli Guy Bescond
Urs Bracher Jean-François Collin
Alain Croce Jean-Claude Geollot
Michel Gouge Georges Guiot
Yves Moussou Gérard Nicolle
Charly Oliviero JeanPierre Ormayer
Jean Pagès Roger Poulain
Wlili Reichen René Rochier
Jürg Rüeger Pierre Vogel

 


Souvenir

La première fois, Joncheray, que j'ai rencontré une épave, une vraie, c'est-à-dire dans l'eau, j'allais dire en chair et en os, j'ai eu peur, très peur.

Ce n'est pas trop pour toi, une plongée d'un demi-siècle ?

Car ce fut en mai 1937, à Porquerolles. Le ciel était gris et triste, l'air mouillé, comme il arrive en Provence au printemps. J'explorais à la nage, muni seulement de lunettes d'eau, les abords du récif des Mèdes, soumis à l'habituel sortilège de l'exploration sous-marine : évasion du monde terrestre, abolition de la pesanteur, solitude, silence... Et je vis poindre sous moi, sous quinze mètres d'eau, mêlées à la faune, aux roches familières, d'autres formes ressemblant étrangement à des huttes. Tel Robinson, seul dans son île, cloué de stupeur devant l'empreinte sur le sable d'un pied humain, je restai là, incapable d'avancer, sentant monter un désir panique, absurde, de fuir à toutes jambes -j'étais sans palmes encore - ce village et ses habitants d 'outre-tombe. Quand, brusquement, je compris qu'une grande chaloupe avait fait naufrage à cet endroit.

Des membrures déchiquetées jonchaient le fond. L'étrave et l'étambot, presque intacts, fichés dans la vase, se dressaient vers le ciel et composaient sous l'eau un paysage surréaliste, étonnamment lugubre et menaçant.

De retour à Toulon, je me hâtais de faire part à mes compagnons Jacques-Yves Cousteau et Frédéric Dumas, de ma découverte et de mon émotion... nous étions en quête d'un film où il y aurait autre chose que des poissons et des hommes... Oui, un jour, il nous faudrait absolument tourner un film sur les épaves.

Car la mer avait déjà commencé à faire de nous un trio d'inséparables, qui devait plus tard devenir celui des Mousquetaires de la plongée... ou tout simplement, des Mousquetaires, comme j'ai proposé plus tard, beaucoup plus tard, que, dorénavant, l'on nous appelle. Mais pour ce faire, il nous manquait encore de devenir hommes poissons, dotés donc de branchies et de nageoires.

J'avais à découvrir les palmes du Commandant de Corlieu, et Cousteau le détendeur de scaphandre autonome qui porte, associé à son nom, celui de l'ingénieur Gagnan.

Il y fallait encore, avant que ne s'achève, tout au moins en Europe, cinq années d'un conflit planétaire, qu'une flotte entière se saborde à Toulon et que, dans ces circonstances atroces, dans la confusion morale et le désarroi qui suivirent, il apparaisse à ce caporal muletier démobilisé du front des Alpes, à ces deux marins placés en congé d 'armistice, qu'il ne restait rien de mieux à faire pour eux trois que de vouer ensemble leurs forces à ce film "Epaves" dont ils rêvaient depuis si longtemps.

Epaves, devenues confusément, dans leur esprit, obsessionnelles, symboles de résurrection, de renaissance, d'ère nouvelle.

Le film "Epaves" a véhiculé ces messages aux premières générations de plongeurs à travers la planète, ceux, en particulier, à double et authentique vocation de plongeur et d'archéologue.

Et puisqu'il faut donner des noms, après ceux de nous trois, les Mousquetaires, je pense à Girault, à Delonca, à Piroux, à Stenuit, à Bass, à tant d'autres... Je pense à toi, enfin, cher Joncheray, the last not the least.

Philippe Tailliez
Les Embiez, 1987


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